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The Old Convent Garden in the Tunis Medina

Maria entre deux jardins

Hatem Bourial

Tous les jardins ne sont pas secrets. Seulement, ils gardent toujours aussi bien un mystère touffu qu’une étincelle de vie. C’est pour cela que cheminer dans un jardin revient souvent à cueillir des métaphores de vie et des paraboles de lumière. Maria Dubin connaît de véritables élévations artistiques en ses jardins. Elle y crée des alliages fugaces et multplie les feuillets d’observation sur la dialectique qu’y entretiennent les formes et les couleurs.

De son premier jardin parfumé ont ainsi surgi mille et une fleurs qui la relient symboliquement à Karen Blixen. Dans un effort durable et une quête mnémique, Maria Dubin a plongé son regard dans ces fleurs et en a extrait le sens profond de toute continuité, toute régénération. L’artiste danoise a ainsi recréé le jardin de Blixen en s’y projetant et en se l’appropriant. Ce faisant, elle se plaçait dans le sillage de la grande écrivaine et probablement, réalisait son souhait de voir se croiser les inspirations dans un lieu qui est d’abord un rêve éveillé.

Car Maria Dubin aime rechercher et débusquer les correspondances poétiques et sait transformer un simple jardin en forêt de symboles. Avec des gestes répétés au quotidien, avec une cueillette qui prend des allures de carpe diem, une artiste rend hommage à une autre artiste le fait dans le dépouillement et la sobriété, saisit l’envers de ce qu’elle voix et nous le montre.

Dans son premier jardin, Maria traque les métamorphoses et met en abyme le réel avec ce qui le fait multiple, ce qui s’écoule sans cesse, ce qui change de forme, bourgeonne, éclot et se fane. Car un jardin, c’est la vie et un éternel recommencement où l’on naît pour s’éteindre et redevenir.

C’est forte de ces convictions et de ce projet artistique lumineux que Maria Dubin a entrouvert les portes d’un nouveau jardin. Cette fois à Tunis, loin des brumes de Copenhague, dans un terroir où l’eau ne coule pas toujours à flots. Dans cette nature âpre et digne, il était un jardin celé dans les dédales de la médina, un lieu chargé de vie et de spiritualité.

Comment y instaurer le dispositif artistique cher à Maria Dubin? La question est aussi fertile que complexe car nous sommes dans un ancien couvent dans les allées duquel bruissent encore les prières des soeurs catholiques qui l’ont habité.

Maria en son nouveau jardin a vite fait d’intégrer tout cet environnement dans sa démarche. À vrai dire, elle est parvenue à faire naître des feuilles d’herbe et des corolles de sens. Chaque oeuvre résonne comme un tout, un univers à équidistance de la poésie d’un Walt Whitman et des échos shintô qui peuvent jaillir d’une fleur. C’est un jardin-eden que l’artiste croque, dessine et peint. Et ce jardin devient comme le reflet de son propre reflet.

Difficile de ne pas songer aux soufis qui peuplaient ces quartiers du Tunis médiéval et pouvaient méditer des journées entières devant une fleur. Comme eux, Maria décèle le ‘dhaher’ (ce qui est visible) et le ‘batten’ (ce qui est en toute chose mais ne se voit pas). Ainsi, elle emprunte des voies spirituelles pour retrouver cette quintessence et la mettre sous nos yeux. Seuls les initiés sauront aller jusqu’aux profondeurs extatiques. Les autres caresseront des fleurs avec leur regard, les trouveront belles ou étranges et pressentiront peut-être ce qu’ils ne voient pas.

En son second jardin, Maria Dubin récolte les fleurs de l’ascèse et du recueillement. Plantées par des soeurs chrétiennes, arrosées par des mains musulmanes, fleurissant dans un terreau mystique, ces étamines de pollens, ces tiges fragiles, sont un reflet de la vie et un condensé de hasard.

C’est en plein mois de Ramadan, alors que le jeûne rituel se déroulait, que Maria Dubin a recréé ces fleurs, les a cueillies pour en faire des êtres chromatiques. Dans le silence de la ville qui prie, dans l’humus d’un jardin où dialoguent subrepticement les cultures, est née cette série surprenante.

Les couleurs vives et chaudes, les formes brutes et fuyantes renvoient à la syntaxe des oeuvres de Maria. Les fleurs sont comme désincarnées, absurdes, libres et aberrantes. Notre regard les croise, s’attarde sur les textures, soupèse leur étrangeté puis se souvient du jardin où elles ont poussé, se souvient de Maria aux prises avec ce qu’elle perçoit, se souvient aussi d’un autre jardin à Copenhague.

Entre réminiscences de Blixen et fragrances tunisoises, Maria Dubin vogue entre deux jardins et rend hommage à deux pays qui sont les siens. Avec des fleurs pour fil d’Ariane et des couleurs qui sont le crédo d’une artiste qui, selon l’adage, cultive ses jardins extimes.